25 juin 2025 Nabil Bouamama

Optimisation des lits et des ressources : les hôpitaux s’organisent en centres de commande

Face à l’évolution des organisations hospitalières et à la montée en charge des services d’urgences, les établissements développent des centres de commande opérationnels, véritables « tours de contrôle » intégrées.  Inspirées de l’aéronautique et de la logistique militaire, ils permettent à la direction des opérations et aux équipes médicales de visualiser en temps réel l’activité des différents services et de coordonner les ressources humaines et matérielles pour réguler les flux patients (urgences, admissions directes, hospitalisations non programmées).

Suivre l’activité des urgences et des admissions, anticiper les pics d’activité …

Chaque centre regroupe sur un plateau unique des cadres hospitaliers supervisés par un directeur médical, connectés aux différents services de soins et aux acteurs de ville. Les données centralisées — dossier patient informatisé (DPI), tableaux de lits électroniques, logiciels de planification des interventions — sont croisées avec des algorithmes d’intelligence artificielle (IA) pour anticiper les tensions et ajuster les prises de décision.

Surveillance, coordination, performance, appui aux soins : 4 missions 

La délégation française présente au congrès HIMSS 2024 à Orlando (Etats-Unis) a identifié ces centres de commande comme l’une des principales innovations organisationnelles observées lors de la visite de la Cleveland Clinic. Un centre de commande hospitalier remplit simultanément plusieurs fonctions :

  • Surveillance clinique et opérationnelle continue (24/7) des patients, du personnel et des infrastructures, permettant de détecter précocement les incidents et d’apporter des correctifs immédiats.
  • Analyse de performance via l’agrégation des données d’activité (capacités litières, admissions, délais d’attente, indicateurs vitaux) pour identifier les tendances et proposer des axes d’amélioration.
  • Coordination des interventions d’urgence en interface avec les équipes de terrain, optimisant l’allocation des ressources lors de situations critiques.
  • Appui aux soins en soutenant les équipes locales, notamment dans les services en tension (urgence, réanimation), en apportant un avis expert supplémentaire et en contribuant à la formation des jeunes recrues.

Soins critiques, chutes, télémétrie : des cas d’usage opérationnels du centre de commande

Le programme eHospital de la Cleveland Clinic illustre la variété des applications concrètes :

  • Tele-ICU (soins critiques à distance) : 204 lits de réanimation bénéficient d’une surveillance médicale centralisée par caméras et dossiers patients numériques (EPIC), permettant une réduction de 15 à 30% de la durée des séjours en soins intensifs et 82% de patients maintenus en vie sur 276 000 patients suivis depuis 10 ans.
  • Virtual Companion (surveillance de patients à risque de chute) : un dispositif visuel interactif permet de dialoguer à distance avec le patient en cas de mouvements non autorisés dans la chambre, évitant de nombreuses chutes notamment chez les patients gériatriques.
  • Central Monitoring Unit : surveillance des alarmes télémétriques critiques (troubles cardiaques, neurologiques) sur 700 lits de soins intensifs.

Hospital 360 : 10% d’admissions en plus et des plannings soignants réorganisés en 45 minutes

Optimisation des flux patients et de la planification médico-administrative

Au-delà de la clinique, le centre Hospital 360 intègre des modules de gestion opérationnelle pilotés par intelligence artificielle :

  • Gestion des lits : la visualisation en temps réel des disponibilités, associée à des prédictions de flux entrants par machine learning, permet d’accroître de 10% les admissions journalières par transfert, de réduire de 20% le temps d’attribution des lits et de diminuer d’une heure en moyenne le temps d’attente aux urgences.
  • Planification des soignants : les plannings de personnels sont optimisés sur 6 semaines avec gestion automatique des absences et remplacements. Le temps consacré quotidiennement à la planification est passé de 4-5 heures à 45 minutes pour les cadres de santé.

Retour d’expérience à Bradford : 90% des patients pris en charge aux urgences en moins de 4 heures

L’expérience du Bradford Teaching Hospital (Royaume-Uni), qui accueille 125 000 passages aux urgences annuels pour 800 lits MCO, illustre l’ampleur de ces projets. Selon la complexité du site, le nombre d’établissements interconnectés et les modules fonctionnels activés, le coût d’implémentation peut osciller entre 750 000 € et 15 M€ par centre. Six mois ont été nécessaires pour déployer les premières briques fonctionnelles.

Selon Bradford, les centres de commande permettent de traiter 90% des patients aux urgences en moins de 4 heures, malgré une hausse de la fréquentation. L’automatisation des processus réduit aussi les appels téléphoniques internes (jusqu’à 200 appels en moins par jour pour rechercher un lit disponible). Trois briefings quotidiens de 30 minutes sont organisés avec les chefs de service pour réévaluer en temps réel les organisations de soins.

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Nancy : premier hôpital français doté d’un Command Center développé avec Dedalus

En juin 2025, le CHRU de Nancy devient le premier hôpital français à adopter un Command Center développé avec Dedalus. Les domaines ciblés sont : blocs opératoires, soins aux patients hospitalisés, services d’urgence (prédiction d’activité, allocation des ressources), et santé ambulatoire/populationnelle (planification opérationnelle selon les besoins territoriaux).
Ce projet s’inscrit dans la construction du nouvel hôpital de Nancy et s’appuie sur l’IA, l’analyse prédictive, des agents conversationnels et des outils de simulation pour anticiper les tensions sur les ressources hospitalières et recommander des actions.

Des perspectives d’évolution : Vers des centres de commande hospitaliers virtuels, interconnectés et prédictifs

Plusieurs évolutions sont envisagées pour les centres de commande hospitaliers. Des formats entièrement virtuels permettent une supervision à distance et mutualisée entre établissements. À l’échelle régionale, l’interconnexion avec des plateformes comme le ROR ou E-CERVEAU faciliterait la gestion coordonnée des capacités. L’intégration de jumeaux numériques offrirait des capacités de simulation des flux patients pour anticiper les tensions. Des applications mobiles déportées pourraient donner aux managers un accès terrain aux indicateurs en temps réel. Enfin, de nouveaux portails d’interopérabilité permettront de croiser les données hospitalières, médico-sociales et territoriales pour un pilotage élargi des flux de soins.

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