« Le problème de ces algorithmes, c’est leur capacité à être généralisables : tant qu’on aura des bases de données qui ne sont pas assez grandes ou trop centrées sur un pays, sur un établissement, on aura du mal à faire fonctionner les modèles pour tout le monde. »Dans le cadre d’un entretien accordé en exclusivité à Health & Tech Intelligence en amont du SophIA Summit (22-24 novembre 2023, Sophia Antipolis) – dont H&TI est partenaire -, Olivier Humbert, PU-PH en médecine nucléaire et biophysique à l’université Côté d’Azur et titulaire d’une Chaire 3IA (Institut 3IA Côte d’Azur), présente en détail les différents projets sur lesquels il travaille avec son équipe autour de l’intelligence artificielle (IA) en santé. Signalant des avancées notables mais aussi des obstacles, en particulier en termes d’accès aux données.
Des modèles de machine learning aux résultats prometteurs
Olivier Humbert développe notamment un outil permettant de prédire la réussite ou l’échec de l’immunothérapie pour un patient donné, avec l’objectif à terme d’aboutir à une médecine de précision « algorithmique ». Les chercheurs sont parvenus à obtenir un modèle avec 8 marqueurs « qui permettent de prédire avec des performances tout à fait correctes l’efficacité de l’immunothérapie ».Il s’agit ici de modèles de machine learning (apprentissage automatique) « assez simples mais efficaces », souligne Olivier Humbert.Il explique s’intéresser aussi au deep learning (apprentissage profond), « qui nécessite des techniques plus poussées ». Les travaux avancent mais restent compliqués. « On a la capacité de prédiction mais l’information est tellement subtile qu’il faudrait avoir de plus grosses bases de données. On est toujours bloqués sur cette problématique d’accès à la donnée », regrette l’expert. « Notre constat actuellement est que sont les modèles plutôt simples de machine learning qui sont les plus efficaces et qui nous apportent le plus. »
Le federated learning, une approche qui rassure les médecins
Autre projet en cours : l’équipe d’Olivier Humbert cherche à déployer une plateforme centrée sur une approche de « federated learning » (apprentissage fédéré), soit « une infrastructure qui relie les hôpitaux ensemble pour qu’ils puissent entraîner des modèles d’intelligence artificielle sur les données de différents hôpitaux mais sans que ces données quittent l’hôpital où elles ont été produites ».Le projet, qui a démarré en décembre 2022 et qui doit s’achever en décembre 2025, a obtenu un peu plus d’1 million d’euros de financement (nationaux, académiques) et les chercheurs ont réalisé la preuve de concept (PoC) sur 3 établissements : l’Institut Curie à Paris, le centre Henri Becquerel à Rouen et le centre Antoine Lacassagne à Nice. « Nous sommes parvenus à connecter les établissements entre eux et donc à entraîner notre modèle au sein des différents centres. » La prochaine étape est le développement du modèle à l’échelle nationale, avec notamment un partenariat avec Unicancer. « Nous travaillons toujours sur le cas du cancer poumon et l’immunothérapie (PoC) mais une fois que l’infrastructure sera établie, il s’agira d’un outil utilisable dans d’autres champs, pour d’autres données médicales… » Malgré des difficultés pointées sur le plan réglementaire et sur le plan informatique/technique, Olivier Humbert constate que l’engouement de la communauté médicale pour le federated learning est évident. « [Cette approche] évite de séparer la donnée de l’hôpital où elle est produite et des médecins qui la connaissent. C’est extrêmement pertinent, ça rassure tout le monde. (…) Je pense que c’est quelque chose qui va changer la donne en IA. »
IA générative : une méfiance à l’égard des « techno-pushs »
En parallèle de ses activités de recherche, Olivier Humbert est également responsable pédagogique du diplôme universitaire (DU) « Intelligence artificielle & santé », une formation lancée en 2021 dont il est à l’initiative et développée dans le cadre de l’Institut 3IA Côte d’Azur. Depuis 2 ans, le programme s’est pérennisé et a évolué, avec un renforcement en termes d’enseignants et la possibilité cette année de personnaliser la formation avec des options à la carte afin de mieux répondre aux attentes spécifiques de chaque métier. Un MOOC interactif va aussi être proposé afin de lancer un DU en mode hybride présentiel-distanciel, toute la formation étant actuellement basée à Nice.Par ailleurs interrogé sur l’essor de l’IA générative, Olivier Humbert se méfie de ce qu’il qualifie de « techno-push » (« on vous donne une technologie et vous voyez ce que vous pouvez en faire »). Il explique préférer la démarche consistant « à partir d’un besoin et à développer la technologie qui va permettre de répondre à ce besoin ». « Les mathématiciens vont vous dire que c’est une technologie incroyable mais du côté des médecins, on est plus prudents et c’est normal, c’est notre métier. On doit vérifier si la technologie est vraiment utile », souligne-t-il.👉 Pour en savoir plus sur l’édition 2023 du SophIA Summit : [Partenariat H&TI] SophIA Summit 2023 : une journée dédiée à l’IA en recherche médicale (22-24/11).