27 juin 2025 Nabil Bouamama
  • Un déficit de l’Assurance Maladie prévu à 16 milliards € en 2025, risquant d’atteindre 41 milliards € en 2030.
  • Un objectif de 3,9 milliards € d’économies en 2026, soit le double de 2025, et 22,5 milliards € d’ici 2030.
  • 60 recommandations dont :
    • Lutte contre la fraude et encadrement des arrêts de travail (+28 % entre 2019 et 2023).
    • Renforcement de la coordination ville-hôpital via les CPTS et les infirmières de coordination.
    • Création d’un statut de “risque chronique” avant l’ALD pour initier un parcours de prévention adapté
    • Hiérarchisation des prix des médicaments selon leur valeur médicale.
    • L’intégration du numérique en santé, notamment pour : la prévention, le suivi personnalisé des patients chroniques via la téléconsultation, la numérisation des procédures administratives, et l’IA pour la prescription et la décision médicale.

Une projection inquiétante de 18 millions de Français en ALD en 2035 

Le rapport « Charges et Produits pour 2026 » de l’Assurance Maladie, présenté le 24 juin 2025, dresse une trajectoire préoccupante : à savoir un déficit de 16 milliards d’euros prévu en 2025, susceptible d’atteindre 41 milliards d’euros en 2030. Les causes sont bien connues, le vieillissement de la population et la progression des maladies chroniques, avec une projection de 18 millions de personnes en ALD en 2035 contre 14,1 millions en 2023.

Un choc budgétaire annoncé : 60 recommandations pour économiser 3,9 milliards d’euros dès 2026

Thomas Fatôme, directeur général de la CNAM, évoque « un point de bascule » et affirme que des « choix structurants » sont nécessaires pour préserver la soutenabilité du système. La dépense annuelle moyenne d’un patient en ALD est de 9 560 euros contre 1 230 euros pour un patient hors ALD. Cette situation, sans réforme, pourrait donc rajouter 25 milliards d’euros au déficit d’ici 2030. Pour répondre à ce défi, le rapport propose au total 60 recommandations, et s’articule autour de la prévention, de la coordination des soins et d’une meilleure adéquation des coûts aux soins dispensés, avec une cible de 3,9 milliards d’euros d’économies en 2026 et 22,5 milliards d’ici 2030.

Près d’un Français sur deux malade chronique en 2035 : le plan prévention de l’Assurance Maladie (dépistage HTA, Nutri-Score, fiscalité)

L’Assurance Maladie préconise d’abord la prévention. 43 % de la population pourrait souffrir d’une pathologie chronique en 2035. Elle propose pour ce faire : la création d’une coalition de financeurs, l’instauration d’une demi-journée de prévention pour les salariés, le dépistage généralisé de l’hypertension artérielle en pharmacie, l’interdiction des dépassements d’honoraires pour les dépistages organisés, et le recours au Nutri-Score comme piste de politique nutritionnelle. Des mesures fiscales sur les produits nocifs, l’intensification des campagnes de vaccination et l’intégration d’un tableau de bord prévention personnalisé dans Mon Espace Santé sont également proposées.

Renforcer la coordination ville-hôpital pour mieux gérer les soins chroniques

Pour faire face à la raréfaction des ressources médicales, le rapport propose de renforcer la coordination ville-hôpital-médico-social en s’appuyant sur le développement d’infirmières de coordination, la structuration des soins non programmés et l’amélioration de l’accès aux soins spécialisés.

Le dispositif ALD, couvrant 20 % de la population en France contre 4,8 % en Allemagne, pourrait être révisé pour une gestion plus dynamique des entrées et sorties, avec un suivi renforcé en cas de rémission ou d’aggravation. La création d’un statut de « risque chronique » permettrait d’engager un parcours de prévention adapté avant que la pathologie n’entraîne une prise en charge lourde. Elle souhaite introduire des référents de parcours pour fluidifier les prises en charge.

« Le juste coût » : Hiérarchiser les prix des médicaments selon leur valeur médicale

Les dépenses de médicaments connaissent une hausse moyenne de +4,2 % par an depuis 2020, notamment pour des produits à faible progrès thérapeutique. L’Assurance Maladie préconise une hiérarchisation des prix selon la valeur médicale, et un financement des essais thérapeutiques par les industriels. Elle propose donc réduire les dépenses sur les médicaments à faible service médical rendu (ASMR IV et V), avec une baisse des prix de 20 % pour les ASMR IV d’ici 2030 et un retour aux niveaux de dépenses de 2019 pour les ASMR V. Le remboursement de ces médicaments serait conditionné à des prix inférieurs à ceux du comparateur le moins cher.

Sur les anticancéreux, elle propose de revoir les tarifs et de conditionner le remboursement à la présentation de données probantes. La CNAM souhaite également renforcer l’usage des génériques et des biosimilaires, avec des mesures telles que le tiers payant contre biosimilaires et la création de groupes de médicaments interchangeables pour limiter les stratégies de contournement des industriels.

Le LEEM réagit : la santé économique ne doit pas primer sur la santé des patients

Le LEEM conteste la position de la CNAM selon laquelle le médicament coûterait trop cher par rapport à son apport, rappelant que les traitements sont évalués par la HAS avant la fixation des prix et qu’un suivi en vie réelle peut lever les incertitudes. L’organisation critique la remise en cause des traitements anticancéreux et des dispositifs d’accès précoce, soulignant que ces mesures risquent de freiner l’accès des patients aux innovations tout en fragilisant la compétitivité de la France, déjà marquée par des prix bas et des délais d’accès aux traitements plus longs que dans d’autres pays européens. Le LEEM se dit favorable à une feuille de route partagée sur le bon usage, la prévention et l’efficience, mais refuse que la santé économique de la France « se fasse au détriment de la santé des patients ».

Par ailleurs, certaines mesures, comme le recentrage du dispositif ALD ou l’obligation vaccinale contre la grippe pour les soignants en EHPAD, suscitent des débats au sein du Conseil de la CNAM. La CNAM souhaite coconstruire cette transformation avec les professionnels, en insistant sur leur rôle dans la prévention et la coordination des parcours.

Lutter contre la fraude

En 2024, 628 millions d’euros de fraudes ont été détectés, en hausse de 34 %. Le rapport propose de renforcer les contrôles, conditionner le tiers payant à l’usage de la carte Vitale et sécuriser les systèmes de facturation. Les technologies d’IA sont identifiées comme piste pour une meilleure détection des fraudes.

Encadrement des arrêts de travail (+28 % en 4 ans)

Les arrêts de travail représentent un levier d’économies visé par la CNAM, avec une augmentation des dépenses de 28 % entre 2019 et 2023. Les propositions incluent la limitation de la durée des arrêts (hors ALD), le transfert des arrêts courts vers les employeurs pour les sept premiers jours, et la création d’un système de bonus/malus selon le niveau d’indemnités journalières générées par les entreprises.

Fraude, suivi, prévention : l’Assurance Maladie mise aussi sur le numérique et l’IA

En ce qui concerne le numérique en santé, le rapport propose quelques pistes comme :

Un tableau de bord personnalisé dans Mon Espace Santé dès 2026

  • L’intégration d’un tableau de bord prévention personnalisé dans Mon Espace Santé, couvrant vaccination, dépistages (cancers, maladies cardiovasculaires), suivi du diabète et des maladies rénales chroniques, basé sur les données de l’Assurance Maladie.
  • L’utilisation des données de consommation de soins pour individualiser les messages et les offres de prévention directement dans l’espace personnel des assurés.

Télésurveillance : un suivi à distance des patients chroniques par des infirmières

  • Pour optimiser la gestion des maladies chroniques et éviter les hospitalisations, le rapport propose de renforcer la télésurveillance via le déploiement d’infirmières de coordination. Ces dernières assurent le suivi à distance des patients chroniques, le lien avec les structures hospitalières et médico-sociales, et participent à la prévention des complications.

La CNAM mise sur l’IA et l’OCR pour détecter plus tôt les anomalies

  • L’Assurance Maladie développe une stratégie complémentaire entre IA et expertise humaine pour détecter précocement les anomalies et prévenir les fraudes.
  • Utilisation de l’IA générative pour automatiser la production de contenus structurés, permettant aux équipes de se concentrer sur la supervision.
  • Utilisation de la reconnaissance optique de caractères (OCR) pour extraire des données de documents justificatifs.

Numérisation des procédures administratives

  • Avec la Dématérialisation des demandes d’accord préalable (DAP) dans des domaines comme la chirurgie de l’obésité, véhicules pour personnes en situation de handicap (avec intégration de l’ordonnance numérique dans leur traitement).
  • Utilisation de l’IA pour analyser les examens d’imagerie médicale.
  • Déploiement et généralisation des outils numériques d’aide à la prescription et à la décision médicale de dernière génération (avec IA), avec obligation d’utilisation pour tous les prescripteurs d’ici 2030.
  • Généralisation de l’ordonnance numérique à l’ensemble des prescriptions onéreuses ou sensibles, couplée à des outils de contrôle de pertinence.

Doubler l’effort d’économies en 2026 (3,9 milliards)

L’Assurance Maladie fixe donc un objectif d’économies de 3,9 milliards d’euros en 2026, plus du double de l’effort de 2025, en misant sur la pertinence des soins, la prévention, la lutte contre les fraudes et la réforme des indemnités journalières. À horizon 2030, 22,5 milliards d’euros d’économies sont prévus, complétés par 2,5 milliards d’euros de recettes supplémentaires via l’indexation des recettes sur le PIB.

Cette piste s’accompagne d’une refondation des relations entre assurance maladie obligatoire et complémentaire, avec une meilleure implication des organismes de complémentaire dans la prévention et la lutte contre la fraude, et un objectif de couverture complémentaire pour tous les assurés sous le seuil de pauvreté.