1 juillet 2025 Nabil Bouamama

La Keynote intitulée  AI for Personalized Medicine, présentée par la Professeure Petra Ritter, responsable de la section Brain Simulation à la Charité Clinic de Berlin lors de la 2025 AI4Health Summer School offre un panorama des avancées dans le domaine de l’IA en santé.

Health & Tech Intelligence met en lumière les principaux enseignements et perspectives pour les professionnels de santé et hospitalier issue de cette intervention. La conférence contextualise l’impact du règlement européen AI Act, détaille des cas d’usage concrets à la Charité et propose une réflexion sur la responsabilité humaine, la fiabilité des systèmes et la gouvernance des données de santé. 

L’AI Act et ses implications pour la santé numérique 

La Pr Ritter débute sa présentation en soulignant la montée en puissance des cadres réglementaires applicables à l’IA avec une attention portée à l’AI Act européen. Ce texte, en vigueur depuis l’année précédente, s’ajoute à une série de réglementations qui façonnent l’écosystème de l’innovation numérique en santé. La définition officielle d’un système d’IA, telle qu’énoncée dans l’AI Act, se distingue par son ampleur: elle englobe tout système conçu pour fonctionner à des niveaux d’autonomie variés et capable de produire des prédictions, recommandations ou décisions influençant un environnement physique ou virtuel. 

Cette définition large a des conséquences directes sur la catégorisation des dispositifs médicaux: tout dispositif intégrant de l’IA est automatiquement classé comme “à haut risque”, impliquant des exigences en matière de certification, de robustesse technique, de protection des données et de transparence. Plusieurs ministères et États membres travaillent activement à clarifier l’application concrète de ces règles, tandis que l’AI Office publie des notes explicatives pour accompagner les acteurs du secteur. 

Responsabilité humaine et autonomie des systèmes d’IA 

La question de l’autonomie des systèmes d’IA est centrale dans l’exposé de la Pr Ritter. Elle insiste sur la nécessité de maintenir la responsabilité humaine au cœur des processus décisionnels, même lorsque l’IA opère à des niveaux d’autonomie élevés. L’analogie avec l’autopilotage aérien illustre cette exigence: si la machine contrôle l’appareil, le pilote reste le garant ultime de la sécurité. Cette réflexion s’étend à la santé, où l’autonomie des dispositifs doit être encadrée par des mécanismes de supervision humaine, afin de préserver la confiance et la sécurité des patients. 

Niveaux d’autonomie: inspiration du secteur automobile 

La classification des niveaux d’autonomie inspirée du secteur automobile peut être transposée à la santé numérique: 

Niveau Description 
0 Aucune décision automatisée 
1 Assistance (une fonction automatisée) 
2 Automatisation partielle (direction et accélération) 
3 Automatisation conditionnelle 
4 Automatisation élevée dans certaines conditions 
5 Automatisation totale dans toutes les conditions 

Ce modèle sert de référence pour évaluer la maturité et les risques associés aux systèmes d’IA en santé pour le Pr Petra Ritter. 

Innovations et cas d’usage: expériences à la Charité et dans le système israélien 

Modèle israélien: intégration des soins, prévention et valorisation des données 

Pr Ritter a donné l’exemple du système de santé israélien, à travers Clalit suite à HIMSS Europe. Ce système se distingue par l’intégration de la prestation et du financement des soins qui favorise une logique de prévention et l’exploitation de données médicales longitudinales. Cette organisation facilite le développement d’outils innovants classés selon trois niveaux d’autonomie: 

  • Whisperer: l’IA assiste passivement le clinicien, qui reste l’interlocuteur principal du patient. 
  • Navigator: l’IA analyse activement les données et signale les anomalies au clinicien, déjà en usage courant. 
  • Frontliner: l’IA interagit directement avec le patient, permettant au médecin de se recentrer sur l’écoute et l’accompagnement. 

Applications concrètes à la Charité 

Dépistage de l’épilepsie par IA 

Un projet soutenu par le Digital Accelerator Program de la Charité permet aux proches de patients de filmer des épisodes suspects d’épilepsie via smartphone. Les vidéos sont analysées dans le cloud par un algorithme d’IA, qui évalue la probabilité d’épilepsie. Ce dispositif est actuellement en phase d’essais cliniques multicentriques en Allemagne. 

Classification non invasive des tumeurs cérébrales 

Une autre innovation, récemment publiée dans Nature Cancer, concerne l’analyse du liquide céphalorachidien par IA pour classifier des centaines de types de tumeurs cérébrales, sans recourir à la biopsie. Cette approche améliore la précision diagnostique et permet d’adapter les traitements de façon plus ciblée. 

Modélisation cérébrale et stimulation personnalisée 

Les travaux sur les “digital brain films” illustrent l’apport de la modélisation dynamique et anatomique du cerveau. L’analyse précise des fibres cérébrales et la prise en compte de la plasticité neuronale permettent d’optimiser la localisation des électrodes pour la stimulation cérébrale profonde, notamment chez les patients parkinsoniens. L’intégration de données multimodales (imagerie vivante, coupes post-mortem) accroît la précision des interventions, dépassant les limites de l’IRM conventionnelle. 

Apprentissage machine et classification des fonctions cérébrales 

L’équipe de la Pr Ritter utilise l’apprentissage automatique pour affiner les modèles cérébraux et classifier les sous-réseaux impliqués dans des fonctions complexes (émotions, mémoire, relations sociales). Ces avancées facilitent la conception d’interventions ciblées visant à restaurer des dynamiques cérébrales physiologiques. 

Repositionnement thérapeutique assisté par IA 

Un projet en cours combine de grands modèles de langage avec des graphes de connaissances biomédicales pour identifier de nouveaux candidats médicaments, notamment dans la maladie d’Alzheimer. Cette démarche croise l’IA et l’expertise humaine, ouvrant de nouvelles perspectives pour le repositionnement thérapeutique. 

Gouvernance des données et infrastructures sécurisées 

La gestion sécurisée des données de santé est un enjeu central. La Charité et le Berlin Institute of Health ont développé une suite logicielle open source, dans le cadre du projet européen Open Science Cloud, offrant un environnement virtuel conforme au RGPD pour la recherche et l’innovation. Ce « health data cloud » est adopté par plusieurs partenaires européens et propose: 

  • Minimisation des données via un «Green Room» .
  • Création de projets à usage spécifique.
  • Accès contrôlé et calcul haute performance.
  • Intégration de code personnalisé. 

La plateforme vise à fédérer une communauté européenne de développeurs et utilisateurs tout en répondant aux exigences de sécurité et de conformité réglementaire.